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-- accueil actualités documentaires emissions tv presse écrite radio théâtre boutique psychanalyse champ freudien département de psychanalyse pratique de la psychanalyse livres films cinéma documentaires spectacles médias emissions tv presse écrite radio documents articles audio choses dites vidéos biographie edito : un troublant exercice de style a propos d’un article d’ariane chemin sur le média (le monde, 3 mars 2018) ariane chemin est une journaliste que je connais bien. nous ne sommes pas des amis, mais on discute de temps en temps, il nous est arrivé de déjeuner ensemble et quand l’un appelle l’autre sur son portable, l’autre répond aussitôt. récemment encore, nous avons parlé de son métier, et comme la plupart de ses confrères qui ont le sentiment de faire honnêtement leur travail, ariane trouvait fort injuste que les journalistes soient tellement décriés par nos concitoyens. or il se trouve que le 1er mars dernier, dans le cadre de l’enquête qu’elle menait pour le monde sur le média dont je suis l’un des co-fondateurs, elle m’a téléphoné, me demandant de répondre à un certain nombre de ses questions, ce que j’ai fait longuement, sans en écarter aucune. deux jours plus tard, je lisais son enquête qui me laissait — comment dire ? — perplexe. ne voulant pas que cette perplexité m’encombre, je vais en rendre compte ici, souhaitant que cela serve éventuellement à expliquer ce qu’il n’est pas toujours illégitime de reprocher aux journalistes : la dissimulation de leurs présupposés et de leurs partis pris sous le masque trompeur d’une objectivité proclamée. beaucoup d’entre nous ont déjà éprouvé ce sentiment étrange quand un article concerne des faits que l’on connaît personnellement. très souvent, on y trouve un certain nombre d’imprécisions, de confusions, d’erreurs, et on se prend à penser que s’il en est de même pour tous les articles qui traitent de sujets qu’on ne connaît pas ou mal, ce ne serait guère rassurant. c’est assurément exagéré, mais en tout cas, dans l’article d’ariane chemin, je dois bien avouer n’avoir rien retrouvé de ce que j’ai vécu au média et rien non plus de ce que je me suis efforcé de lui raconter pendant plus d’une heure. pour ne pas infliger au lecteur la liste de tout ce qui cloche à mes yeux dans cet article et ne pas donner l’impression fâcheuse d’être un mauvais coucheur, voire un censeur, je me contenterai de prendre le début, les premières phrases, celles qui donnent le ton, créent l’ambiance et préparent psychologiquement le lecteur à adopter le point de vue spécieux de l’auteur. car l’article d’ariane chemin est un modèle de ce qu’on pourrait appeler, en hommage à raymond queneau, un troublant exercice de style. ariane chemin commence par quelques mots aussi précis qu’un constat d’huissier : « montreuil, métro robespierre, lundi 19 février, 9 heures du matin. » jusque là, rien à dire. encore que souligner dans un article la station de métro la plus proche de l’endroit dont on parle doit avoir une utilité. pour ma part, si j’écrivais un article sur bfm, je ne commencerai pas par ces mots : « paris, métro porte de versailles, lundi 19 février, 9 heures du matin. » evidemment, l’avantage avec la station robespierre, c’est qu’on peut imaginer par exemple la guillotine et ça tombe bien. car de quoi s’agit-il tout de suite après ? de décrire justement une scène inquiétante, une scène de procès comme les robespierristes, assoiffés de vengeance et de sang, sont supposés en avoir eu le goût à leur époque. deuxième phrase : « la journaliste aude rossigneux a été convoquée la veille par un mail lapidaire. » dès la deuxième phrase, pas d’hésitation, on comprend bien pourquoi le média s’est installé à un jet de pierre de la station robespierre : les mails qu’il envoie ne sont pas concis — ce qui est quand même le cas de bien des messages, textos et autres, que nous nous échangeons —, non, ils sont lapidaires, ce qui est déjà menaçant. limite angoissant. on imagine le mail lapidaire en question : « aude, descends à la station robespierre, emprunte la rue lénine, puis l’avenue fidel castro, et arrive jusqu’à nous. » la troisième phrase vaut son pesant de cacahuètes : « dans la cuisine du média, au sous-sol des nouveaux locaux de la télé proche des « insoumis », le dos au réfrigérateur, elle cherche à comprendre l’objet de cette réunion un brin solennelle. » ça, je ne l’aurais pas inventé : « le dos au réfrigérateur ». aude s’est assise où elle a voulu, on est dans une cuisine, il y a un frigo, et la voilà… le dos au mur, pardon, « le dos au réfrigérateur ». si elle voulait s’enfuir par là, impossible — elle est prisonnière ! et comme un lapin pris dans les phares d’une voiture, « elle cherche à comprendre l’objet de cette réunion. » bon, la rédaction du média était en ébullition depuis des semaines, aude était au centre de très vives tensions — il est difficile de croire qu’elle tombait ce jour-là des nues, mais peu importe. pour paraphraser hitchcock, « demander à un journaliste qui veut raconter une histoire à sa façon de tenir compte de la vraisemblance est aussi ridicule que de demander à un peintre figuratif de représenter la réalité avec exactitude. » poursuivons donc notre lecture. « de l’autre côté de la table en bois clair, trois hommes lui font face : le psychanalyste gérard miller, le réalisateur henri poulain, accompagné de son directeur de production et associé, hervé jacquet. » on n’est qu’à la quatrième phrase de l’article et j’espère que chacun apprécie le talent de l’auteur : l’angoisse est à son paroxysme, ariane tient la scène. aude est seule, alors que le nommé henri est venu « accompagné » d’on ne sait quelle âme damnée. aude est seule, « le dos au réfrigérateur », alors que « trois hommes lui font face ». aude est seule et, pétrifiée, « elle cherche à comprendre » ce qui se passe. le grand alfred, que je viens d’évoquer, appelait ça l’anticipation. au cinéma, expliquait-il, un coup de fusil ne fait pas peur. ce qui fiche la trouille au spectateur, c’est le fait de l’attendre. et en moins de temps qu’il ne faut pour le lire, ariane chemin, en toute objectivité bien sûr, a fait le job : on sait de quel côté de la « table en bois clair » est le côté obscur de la force, on tremble, on s’attend au pire — il viendra. cinquième et sixième phrases : « a quelques tasses de café, enfin, la réalisatrice anaïs feuillette, compagne de m. miller, et tout au bout, sophia chikirou. « comment dire tout ça ? » commence la directrice générale de la chaîne, avant de passer la parole au psychanalyste. » là, plus de doute, on vit la scène comme si on y était et on entrevoir l’incroyable dispositif mis en place, digne des procès en sorcellerie : face à l’innocence persécutée, savonarole et ses deux assesseurs, et loin sur le côté (à gauche ou à droite, on ne nous le précise pas) deux femmes, dissimulées derrière des « tasses de café », deux femmes dont l’une, « tout au bout » (curieuse indication : derrière elle, il y a quoi ? la porte de l’enfer ?), dont l’une, « tout au bout » ouvre le bal en prononçant une sentence elliptique, quasiment codée : « comment dire tout ça ? », avant de replonger dans l’ombre et de céder la parole à l’un des trois hommes. arrive la septième et dernière phrase de cette introduction si peu orientée : « l’ancien « mao » parle « d’embarras», de « mauvaise ambiance », de « quelque chose qui s’est mal emmanché », avant de lâcher : « aude, on a en tête de te parler de la possibilité que tu quittes la rédaction ». ah, c’était donc ça : on cherchait du côté de florence (savonarole), on était prêt à regarder vers moscou (vychinski), il fallait penser à pékin (mao). un des trois hommes était un « ancien mao », reconverti donc dans les médias — tout un programme ! bon, même dans la description peu flatteuse qui est faite de lui, le procureur rouge semble plutôt embêté et laisse même entendre qu’il s’agit pour aude de quitter la rédaction, pas le média, mais foin des nuances — ariane chemin peut être satisfai